ORGANISATION D’UN VILLAGE SAHELIEN
L’EXEMPLE DE YOUBA
Le village de Youba se situe à une quinzaine de kilomètres de la ville de Ouahigouya dans la zone sahélienne, au Nord du Burkina Faso. Ce village est assez typique des villages rencontrés au Sahel, tout en étant assez préservé – pour l’instant – de l’avancée de la ville.
Youba est un village vieux de plusieurs siècles. Son nom peut se traduire par : “Quand ils sont venus, ils ont trouvé un baobab. L’ancêtre a dit : je veux rester pour manger mon pain de singe.”
Les environs de Youba
LE VILLAGE
Actuellement le village compte 8000 habitants ; il dépend de la commune de Ouahigouya n’ayant pas encore le statut de commune indépendante. (NB. pour devenir une commune indépendante, il faut un minimum de 5000 habitants et justifier de ressources financières d’un montant de 5 millions de francs cfa.)
Il est divisé en 6 quartiers peuplé d’ethnies différentes mais toutes d’origine moaga (Yarsé, Forgerons …) ainsi que quelques peuls.
Chaque quartier porte un nom différente, avec des familles aux noms spécifiques :
MARANGO. Situé au Sud du village. Familles Maïga, Danikoye, Porgo, Ouedraogo.
TANGASAKIN. Situé au Nord-Est. Familles Guiro, Baguyan, Ouedraogo, Tinto, Sana, Ganamé, Gassembé, Badini, Mandé.
DAYASONNORE. Situé au Nord. Fammilles Maïga, Guiro, Nacanabo. C’est également le quartier des forgerons avec les familles : Kindo, Guitti, Zorome.
TILLY. Situé à l’Ouest. Famille Belem.
GANGANDOGO. Situé au Sud-Ouest. Famille Ouedraogo.
TINGSOBOGO. Situé au Sud. Famille Porgo
Sa population est très jeune : 65% de la population a moins de 25 ans.
Les habitants sont paysans (agriculteurs ou éleveurs) à 90%. On note également quelques orpaillages dans les environs. Le village est connu de la région par son marché au bétail qui s’y tient tous les trois jours.
La quasi totalité de la population est musulmane et chaque quartier possède une mosquée et un imam auquel il faut rajouter deux imams responsables de l’ensemble du village.
La coutume est néanmoins très présente avec l’existence d’un chef de terre (chef de village, différent du maire). Les pratiques traditionnelles sont fréquentes malgré l’Islam.
LES HABITATS
Les quartiers sont accolés les uns aux autres mais séparés par les champs des concessions.
L’architecture des concessions reste traditionnelle, avec des bâtiments rectangulaires à toit plat, bâtis en briques de banco. La taille des concessions varie suivant la taille de la famille. La polygamie étant la norme ; chaque femme possède sa maison qu’elle occupe avec ses enfants, ainsi qu’un grenier à grain. On commence néanmoins à voir quelques constructions modernes en parpaings, appartenant à des familles qui ont plus de moyens financiers grâce – notamment – à l’orpaillage.
Les pistes intérieures au village sont larges.
A gauche plusieurs concessions, au centre et à droite : des greniers à grains,
surélevés pour éviter l’humidité et les animaux qui pourraient gâter le grain.
Les ouvertures sont en hauteur et souvent cadenassées pour éviter les vols.
Une piste au sein du village de Youba.
A droite, des boeufs de case. La réserve de fourrage est placée en hauteur,
à la fois pour créer de l’ombre aux zébus mais aussi pour protéger la réserve de paille
et éviter que les animaux ne mangent tout d’un coup.
De plus en plus fréquemment, les toitures sont faites avec de la tôle ; peu chère et peu solide. Elle engendre de fortes chaleurs dans l’habitat et elle est source d’accident lors de la période de l’Harmattan.
A gauche : une tombe. Il est en effet fréquent d’enterrer un proche ou un chef au milieu du village
A droite : la réserve de fourrage au-dessus de l’étable.
Chaque quartier se rencontre dans la cour du Chef de famille, faute de lieu de rencontre suffisamment grand pour abriter tout le monde.
L’électricité est arrivée jusqu’au village, mais tous les foyers sont loin d’être électrifiés faute de moyens financiers suffisants.
LA RELIGION
La quasi totalité des habitants de Youba est musulmane et chaque quartier possède sa mosquée.
La mosquée de Ravasmnore – La mosquée de Margngo
La grande mosquée du vendredi – La mosquée de Gangandogo
La mosquée de Tilly – La mosquée de Sandogo
L’EAU
L’eau est accessible à Youba à travers des puits. Malheureusement les forages sont à ciel ouvert ce qui pose des problèmes sanitaires. L’eau est en effet contaminée par tout ce qui tombe dans le puits.
Le manque de pompes et d’infrastructures pour tirer de l’eau empêche toute culture de contre-saison et l’irrigation.
Le puits sacré de Dayasmnorre – Celui de Marango
Le puits à gauche est sacré, nul ne peut l’approcher chaussures aux pieds
A droite, le CEG a la chance de posséder un forage fermé. Dessous, un autre puits à ciel ouvert.
CULTURES
90% des habitants sont paysans. Les champs sont semés en juin (suivant les précipitations) et les récoltes sont faites en octobre (suivant aussi les précipitations).
Les cultures sont les mêmes que dans d’autres régions du Burkina Faso.
Ci-dessous, des photos de champs cultivés autour du village, auxquels il faut rajouter le petit mil, le coton, et le pois de terre.
Les sols sont fatigués car ils reçoivent toujours les mêmes cultures. De plus le système d’héritage amène un morcellement des terres qui sont réparties entre les fils au décès du chef de famille. Les superficies étant de plus en plus petites ; les sols sont sollicités à l’extrême pour les cultures.
Arachide et à droite le bissap
Le sésame et le haricot niébé
Le gombo et le mil
la rizière et le maïs
Au niveau de l’élevage, Youba ne pratique pas d’élevage intensif (malgré le marché au bétail). Chaque famille pratique ce qu’on appelle “un élevage de case“, c’est à dire uniquement les animaux nécessaires à la consommation ou l’utilité de la famille : boeufs, ânes, moutons, chèvres, poulets, pintades….
Le marché au bétail se tient en périphérie du village tous les 5 jours ; c’est un des plus importants de la région et un des plus anciens marché au bétail du Burkina Faso. On y vend des bovins, des caprins et des ovins.
LES LOISIRS
Les loisirs ressemblent à ceux que l’on rencontre dans les autres régions du Burkina Faso : les hommes jouent à l’awalé, au lido ou ludo (sorte de “jeux des petits chevaux”), aux cartes (“Asec”, “couleur”, “mariage”) et à la lutte traditionnelle (lutte africaine qu’on rencontre essentiellement dans la zone sahélienne).
Deux hommes disputent une partie d’awalé
LES FEMMES
Les femmes occupent plusieurs métiers :
– Suivant la coutume, les femmes de forgerons sont potières de mère en fille. Leur technique de façonnage et de cuisson sont très anciennes.
Les potières malaxent la glaise avec un dégraissant : soit de la paille hachée soit tout simplement une ancienne poterie réduite en poussière. Elles travaillent sur une pierre polie (pour écraser les tessons qui vont servir de dégraissant) ou bien sur la terre ferme ou encore dans un récipient empli de terre fine ou de sciure lorsqu’elles terminent le pot à fond rond.
Elles partent d’une boule de glaise qu’elles vont évider et lisser à l’aide d’une pierre ,polie. Elles montent les parois à la main en rajoutant de l’eau régulièrement afin d’éviter que la terre ne sèche et se fendille. La poterie terminée est mise à sécher avant la cuisson.
Les formes travaillées sont en général traditionnelles et utilitaires : canaris, pots, passoires … Néanmoins on trouve des jouets comme de petits animaux (des bovins) et…. des téléphones portables (cf à droite ci-dessus).
Parmi les poteries utilitaires, on note de longs tuyaux au bout évasé qui sont des gouttières. Elles sont installées dans la maçonnerie des maisons afin d’éviter la stagnation de l’eau sur le toit.
La cuisson est également très traditionnelle : dans un creux à l’abri du vent, on empile les poteries à cuire et on les recouvre de branchages et surtout de bouses sèches (le bois est rare dans le Sahel). Une fois les poteries totalement recouvertes, on met le feu qui va brûler puis se consumer pendant plusieurs heures.
Cette technique de cuisson – très ancienne – a l’inconvénient de dégager une chaleur non contrôlée. Les poteries cuisent de manière irrégulière et souvent trop rapidement. Des traces noires sur les poteries témoignent de cette technique de feu direct. Les poteries sont plus friables que des cuissons dans un four élaboré. En 2015, les femmes se sont dotées d’un four fermé et ouvert sur le dessus afin d’économiser le bois et harmoniser la chaleur.
LES TISSERANDES OU TISSEUSES
Un autre groupe de femmes s’est spécialisé dans le tissage. Elles teignent elles-mêmes les fibres de coton qui proviennent de Ouagadougou, qu’elles tissent sur un long métrage avec des motifs géométriques qu’elles sont libres d’inventer. Les métiers sont en métal, offerts par des associations étrangères. La production de pagnes s’écoule essentiellement à Ouahigouya.
Sur la photo, toutes les tisseuses sont réunies pour la visite d’une association française, avec remise solennelle de nouveaux métiers. Chaque métier porte le nom du donateur. Ce sont les femmes qui décident de l’attribution d’un métier à une femme précise.
Le reste du temps, les femmes filent chez elles ou hors de leur case.
L’écheveau de coton. A droite un pagne terminé
LES CORDIERES
Un troisième groupement de femmes – avec quelques hommes – fabriquent des cordes au moyen de fibres synthétiques provenant des grands sacs de riz ou de mil que l’on défait soigneusement pour récupérer le fil. Ces cordes sont vendues dans les environs pour servir à puiser l’eau ou pour le bétail. Elles sont d’une très grande solidité.
Les uns défont les sacs et trient les fils récupérés. Les autres tressent les cordes à partir du pied en maintenant la corde avec un bout de bois. On retrouve cette technique jusque dans le Nord de l’Afrique.
Détail du travail sur le pied, et corde finie
LES SAVONS
Un quatrième groupe de femmes fabrique des savons : savon liquide ou savons en carré. Elles sont dotées de tout le matériel de fabrication et vendent dans les marchés.
Les savons en cours de fabrication et découpés une fois secs
Les “savonnières” vendent le savon liquide.
Il y a eu une tentative de fabriquer du beurre de karité, mais les environs sont totalement dépourvus d’arbres de karité. L’import des noix revenait trop cher pour tirer un bénéfice de la fabrication du beurre : le projet a été abandonné.
Ces groupements de femmes ont appris ou réappris leur métier après avoir été alphabétisées en mooré pendant plusieurs mois. Cette organisation a été mise en place par un enfant du pays devenu professeur puis député : Sidiki Belem, avec l’aide d’une association qu’il a créée au Burkina Faso FAEDB, ainsi qu’une association allemande Wunschtraume de Kathrin Seyfahrt, qui a notamment construit le bâtiment d’alphabétisation.
LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES
Les enfants disposent d’une école primaire et d’un CEG construit en périphérie du village. Le CEG regroupe des enfants d’autres secteurs que Youba. Le taux d’enfants scolarisés augmente régulièrement d’une année sur l’autre grâce aux efforts consentis par l’Etat, les associations et les ONG. Néanmoins tous les enfants ne vont pas encore à l’école.
Au niveau de la santé, le village possède un CSPS (dispensaire de brousse), pour les cas les plus graves ou les urgences, la proximité de la ville de Ouahigouya permet une évacuation rapide, la ville étant dotée de plusieurs structures médicales importantes.
PERSPECTIVES
Bien que conservant un aspect traditionnel, Youba se projette dans l’avenir avec plusieurs projets :
– Construire une maison de jeunes pour que ces derniers (qui représentent plus de la moitié du village), puisse s’y réunir.
– Construire un hangar ouvert afin que la vingtaines de tisseuses puissent travailler ensemble à l’abri du soleil.
– Un autre projet concerne les potières. Ces dernières fabriquent des objets cuits sous feu de bois et de bouses suivant des formes et une méthode qui n’ont guère évolué depuis des siècles. Sidiki Belem aimerait leur organiser un voyage à travers le Burkina Faso afin de leur faire rencontrer d’autres potières aux traditions et formes de cuisson très différentes afin de leur ouvrir des perspectives nouvelles.
Construction d’un nouveau bâtiment au CEG
(Crédit photos : A et B Chalamon – Sidiki Belem – Sidi Madi Ouedraogo – Article rédigé avec l’aide de Mr Sidiki Belem)