La division du travail est essentiellement basée sur le sexe ; si une femme peut se faire admirer et féliciter en montrant une certaine habileté dans tel ou tel travail d’homme, c’est plutôt humiliant pour un homme (vir) de se livrer à un travail de femme. Observons les secteurs importants der la vie de ce travail.
L’AGRICULTURE et L’ELEVAGE
Le système de l’agriculture dagara est à base d’investissement humain, et requiert des forces physiques considérables. Aussi bien l’homme que la femme ont beaucoup à faire, comme on peut s’en rendre compte dans l’énumération des activités.
Les travaux nécessitant une force brutale reviennent à l’homme. ” Défrichage (pire kyeb), butage (falû), labours (kob)” (Gbanne Dabire Constantin, “Nisaal” p. 215). Les bas-fonds aux abords des marigots et les flancs des collines, fertiles mais combien difficiles à cultiver, lui reviennent. A la récolte, les épis de mil étant au sommet de très longues tiges, il faut abattre ces tiges avec un coupe-coupe, ce qui requiert force, endurance et savoir-faire. Une fois les épis à terre, il reviendra à la femme de les découper de leur support. Déterrer les tubercules, les arachides et les pois de terre, lutter contre les grosses bêtes sauvages qui peuvent ravager les champs etc….
Les outils de travail sont la houe (kuur), la pioche (lèr), le coupe-coupe, la hache.
L’élevage des bovins, ovins, porcins, de la volaille (poules, pintades) revient entièrement à l’homme ; mais ce sont ses jeunes garçons qui feront le gros du travail concret : gardiennage des boeufs, moutons, chèvres,k collecte combien difficile de la nourriture des ports, termites pour poussins et pintadeaux, faire rentrer volaille et bêtes dans les enclos etc… Si les garçons ne sont pas assez nombreux, les filles jusqu’à un certain âge, participeront à ce travail mais pas leur mère.
Les activités de la femme dans l’agriculture.
La femme est loin d’être sous-employée : ses activités en ce domaine de l’agriculture sont également épuisantes : préparer les anciens champs (vaara vab), faire les semailles (bùrù), repiquer les jeunes plants de mil (sélù), sarcler (dob) et désherber (mùo vob) les rizières et les champs d’arachide, produire les légumes (zè-vaar, saalù), couper les épis de mil (kyi mwab), transporter les récoltes à la maison.
Les lourdes charges portées sur sa tête demandent de la force musculaire, de la souplesse et de l’endurance.
Quand le mari reçoit une équipe de travailleurs (kùobè), c’est la femme qui doit préparer le boisson (dâa = bière de mil) en quantité et qualité suffisantes pour les désaltérer. Cette boisson nécessite deux jours de préparation avec un service d’eau et de bois-de-chauffe en quantité considérable, surtout qu’il faut aller chercher cela loin des maisons, en chargeant de nouveau sur la tête. Outre le “dâa”, il faut apprêter de la nourriture que mangeront les cultivateurs (kùorbè) à la fin de la journée, et ainsi de suite.
Si les travaux de l’homme nécessitent une force musculaire extraordinaire et de l’endurance, ceux de la femme sont nombreux et exigent endurance et aussi de la force.
La construction des maisons d’habitation comporte également beaucoup d’activités réparties entre l’homme et la femme.
LA CONSTRUCTION DES MAISONS D’HABITATION
Nous avons déjà fait allusion aux maisons dagara : de grosses constructions pas bien hautes, distribuées territorialement en habitat dispersé. Leur construction nécessite beaucoup de mortier, beaucoup de bois, beaucoup d’investissement humain et une main d’oeuvre qualifiée suffisante.
Les rôles de l’homme dans la construction des maisons
L’homme doit creuser la terre et lka transformer en mortier, creuser les fondations, construire les murs, aller en brousse couper les poutres et autres espèces de bois et les transporter au lieu de la construction (les poutres sont particulièrement pesantes), poser la toiture – laquelle est en terrasse – construire le grenier, d’un art et d’une technique vraiment ingénieux : ce sont des travaux qui requièrent de la force musculaire, de l’endurance et beaucoup de savoir-faire technique.
Comme pour l’agriculture, l’homme dirige les travaux, tel un maître de chantier. Nous parlons ici de l’homme (vir) en général, car n’est pas technicien en maçonnerie et architecture dagara qui veut ; il y a des spécialistes du mur, de la charpente, de la terrasse, du grenier… Celui qui ne s’y connait pas en un domaine fera appel aux techniciens ; du reste, la construction d’une case est l’affaire du patriclan et chaque patriclan a des maçons, des architectes etc… (c’est l’apprentissage qui permet d’acquérir ces compétences, n’importe qui peut s’initier, mais qui ne connait, ne peut s’improviser maçon…).
Quoiqu’il en soit, par rapport à la femme, l’homme est le maître de chantier, penseur et réalisateur : c’est lui qui construit “sa maison” pour loger “sa femme” et “ses enfants”. Il n’empêche que la femme apporte non seulement un investissement humain, mais aussi une main d’oeuvre qualifiée, surtout dans les travaux de finitions.
Les rôles de la femme dans la construction des maisons
La femme assure l’éprouvante cordée d’eau, car il faut de l’eau en quantité énorme pour mouiller et imbiber la terre afin de la malaxer et la transformer en mortier. Elle fera partie de la main d’oeuvre pour le transport du mortier loirs de l’édification des murs, du transport du bois moins pesant (pèrsi).
S’il faut préparer du “dâa” pour désaltérer les travailleurs venus des environs, cela incombe à la femme. Une fois les murs élevés et la terrasse étalée, les travaux de finition lui sont laissés : crépissage des murs sur les deux faces internes et externes, damage des terrasses (technique pour rendre les terrasses plus belles, utilisables pour sécher les récoltes et pour dormir durant les mois chauds de l’année, et aussi pour les rendre imperméables aux eaux de pluie.
La femme est la maîtresse de maison qui, en toute prévoyance, équipera la maison maintenant achevée, avec des ustensiles fabriqués de ses mains ou achetés par elle ; mais il s’agit déjà de l’artisanat.
L’ARTISANAT
Les compétences artisanales de l’homme
L’homme détient en exclusivité les secteurs artisanaux suivants:
- La sculpture : fabrication des manches en bois des outils de travail, tabourets, arc, mortiers et pilons à usage féminin etc…
- La fabrication des instruments de musique : tambour (kùor et gâgaar), balafon (jil), sifflets en bois (wele) etc… C’est aussi l’homme qui utilisera tuos ces instruments de musique, la femme n’y a pas accès.
- La forge : fabrication des flèches, des bracelets, des outils de travail etc…
- Le travail du cuir : tannage, confection des vêtements, de parures, de sacoches
En dehors du critère du sexe, n’importe quel individu peut s’initier dans n’importe quel domaine artisanat : seul l’apprentissage confère la compétence.
Les compétences artisanales de la femme
La femme détient des secteurs artisanaux assez diversifiés et importants. Là aussi, une fois le critère du sexe respecté, toute femme peut s’initier par apprentissage et aboutir à la compétence spécialisée dans un ou plusieurs secteurs artisanaux. Ces secteurs sont les suivants :
- La poterie : diverses sortes de canaris, autres ustensiles de cuisine. La matière première – l’argile – n’est pas toujours facile à trouver, et la cuisson des canaris est difficile et délicate : la potière peut tout perdre en cette dernière et inévitable épreuve.
- La vannerie : paniers, nattes à coucher dont la matière première (une paille spéciale) se trouve en brousse, très loin des maisons d’habitation.
- Pour la musique : la femme excelle en outre par la beauté et la pureté de sa voix dans le chant.
- La femme a bien d’autres compétences, qui sont surtout liées au ménage et à la cuisine.
LE MENAGE
Le ménage est (presque) totalement laissé à la femme ; une fois la maison construite, l’homme n’a plus d’inquiétude, il opèrera les réparations ou rénovations relatives à la maçonnerie, mais l’entretien journalier aux aspects multiples et épuisants, revient complètement à la femme.
Le soin des enfants
L’allaitement du bébé (0-deux ans) et le soin des autres enfants en bas âge incombent entièrement à leur mère : les laver, leur donner à manger, être avec eux, les soigner quand ils sont malades etc…
Les naissances ont lieu tous les deux-trois ans, une mère peut avoir trois enfants de 0 à 6 ans dont il faut s’occuper. Elle sera aidée en cela par une de ses fillettes (entre 8 et 15 ans) qui jouera le rôle de gardienne du plus petit. Si la mère n’a pas de fillette de cet âge, elle ira en cherche une dans sa maison paternelle car il ne convient pas qu’un garçonnet s’occupe dans ce sens de ses plus jeunes frères : c’est un travail de femme.
En parlant de la ménagère, Gbaane Dabire Constantin écrit : “La cuisine, le ménage (l’eau et le feu, l’ordre et la propreté) ainsi que le soin corporel de l’enfant, relèvent presqu’exclusivement de la compétence (de la femme)”.
A un enfant qui pleure, on dira spontanément : “va chez ta mère”.
De fait, l’enfant vit très longtemps accroché à sa mère (long allaitement..) les filles quant à elles, ne la quittent pratiquement jamais.” (p. 141)
Le service d’eau et de bois de chauffage
Le pays dagara est encore une zone majoritairement rurale ; il n’y a ni eau courante, ni autre source d’énergie que le bois. Dans cette zone tropicale et plus que jamais affectée par la sècheresse sahélienne, le service d’eau en saison sèche et le ravitaillement en bois de chauffage constituent une véritable corvée pour la femme. Il faut dire que c’est l’homme qui aménage les points d’eau (creuser un puits, curer les marigots) ; mais si cela représente un travail physique difficile parfois dangereux, çà peut être vite fait, surtout par plusieurs hommes s’y mettant ensemble. Le reste du temps, et tous les jours sans exception, le travail de ravitaillement en eau incombe à la femme. Elle parcourt de longues distances, passe de longues heures du jour et de la nuit à faire la queue avec ses compagnes aux points d’eau qui s’alimentent très lentement, chacune attendant son tour pour remplir ses canaris.
La difficulté ne réside pas tant dans les lourdes charges à porter sur la tête, ni même dans les longues distances à parcourir ! Il s’agit d’une angoisse quotidienne de savoir où et comment trouver de l’eau.
La situation est la même pour le bois de chauffage : avec la désertification progressive due à la sècheresse, le bois est devenu rare, il faut aller loin dans la brousse, et si par chance elle en trouve, il restera encore à le transporter sur la tête ! L’homme ne se préoccupe que du bois de construction, et ce n’est pas chaque année, encore moins chaque jours qu’il a des problèmes de charpente à résoudre ; il n’est pas question qu’il s’inquiète du bois de chauffage, à moins d’une bonté ou pitié extraordinaire pour sa femme, comme il est hors de propos qu’il s’occupe du ravitaillement en eau.
On voit de temps en temps des jeunes époux aider leurs femmes à constituer le stock de bois de chauffage ; cela est dû sans doute à des influences nouvelles (par exemple le christianisme) ou à la gravité même du problème de manque de bois.
Chaque année, durant la période de la saison sèche, la femme renouvelle son stock de bois de chauffage, mais le problème va s’aggravant, comme pour la question de l’eau.
Quand le problème d’eau et de bois est plus ou moins résolu (et c’est toujours de façon provisoire), outre le soin des enfants dont nous avons déjà parlé, le ménage proprement dit commence : la cuisine, la vaisselle, la lessive, le balayage….
Si les adultes prennent un bon repas par jour (le soir), ils boivent abondamment le “dâa” (bière de mil), et les enfants demandent à manger plusieurs fois dans la journée. Il faut donc chaque jour faire la cuisine plus ou moins abondante. C’est alors la chaleur et la fumée que la femme doit absorber ; mais ce n’est pas ce qui l’inquiète ! Comme pour les soins des enfants, elle sera aidée dans ce travail par ses filles non encore mariées. Avant et après le repas, il faut laver les plats.
Dans ce paragraphe sur la cuisine, on ne peut omettre de mentionner la préparation du “dâa” : une longue cuisson de deux journées, qui demande beaucoup d’eau, du bois, de l’endurance, des forces physiques et des connaissances techniques.
D’autres cuissons obligatoires interviennent qui, même si elles sont occasionnelles, n’en demeurent pas moins pénibles : l’huile de karité (kãa), le “kal” (condiment indispensable pour la sauce), tous deux nécessitant un long et savant processus de préparation.
Il semble difficile de venir à bout de toutes les activités ménagères quotidiennes et occasionnelles de la femme dagara qui lui sont attribuées par une division du travail basée sur le sexe. Mais à ce niveau, la complémentarité est évidente entre l’homme et la femme.
Leur travail créé une économie et un pouvoir économique également intéressant à considérer.
Tiré de …. “Approche de la condition de la femme dagara“, Condition de la femme dans différentes cultures).
Kusiele Dabire Der Raphaël, diocèse de Diébougou
Pontifica Universita Gregoriana, Facolta di Science Sociali
Rome, le 27 novembre 1987, non publié
Avec l’aimable autorisation de l’auteur
Citations : Gbaane Dabire Constantin : “Nisaal, l’homme comme relation”, janvier 1983
(Crédit photos : A. et B. Chalamon)