Toriyaba

Le suicide au Burkina Faso

Carte du Burkina Faso avec son drapeau

Parler du suicide au Burkina Faso, c’est s’attaquer à un tabou. Un tabou qui a la vie tellement dure qu’il est très compliqué d’avoir des chiffres ou tout simplement des réponses aux questions. Cet article a été rédigé à la suite d’une vaste enquête où il a été délicat d’obtenir des réponses précises. Un fossoyeur rencontré a nié avoir vu ou entendu parler de quoique ce soit, une autre personne a volontiers répondu tout en demandant de “protéger les sources”…. Les vieux tabous ont la vie dure !

Cette véritable “omerta” a laissé longtemps croire que le suicide était inexistant au Burkina Faso. Certaines personnes ont affirmé que le suicide était “affaire des blancs” et ne concernait que les occidentaux. Or, en poussant les gens dans leurs retranchements, en leur parlant en particulier, on s’aperçoit que le suicide est omniprésent dans la société burkinabè (avec des différences importantes suivant les ethnies), aussi bien en brousse qu’en milieu urbain. C’est même un véritable fléau.

QUI SE SUICIDE ?

Le suicide touche toutes les couches sociales et tous les âges. Toutefois, il semblerait que les suicides en brousse concernent plus des adultes (des paysans pour la plupart). Les enfants (d’âge primaire, collège ou lycée) se suicident plus en zone urbaine ou périurbaine. Le mouvement est assez récent et a tendance à s’accentuer.
On assiste également à des suicides de personnes âgées, poussées par la misère ou bien des problèmes d’honneur familial.

POURQUOI SE SUICIDER ?

Les causes du suicide sont très nombreuses et parfois surprenantes. La majeure partie des suicides des femmes concerne la vie familiale mais on assiste à une montée des suicides de jeunes en ville.
Certains suicides n’ont aucune cause apparente. Plusieurs cas ont été signalés en mentionnant “cause du suicide inconnue“. Il est évident que personne ne laisse de lettre explicative de ce geste.
Chez les Dagara, le suicide est considéré comme une “mauvaise mort” au même titre que les décès par noyade ou par morsure de serpents. Mais il est acquis qu’une personne préfère se donner la mort que mener une vie sans honneur et sans dignité.

  • LES TROUBLES PSYCHOLOGIQUES

Les cas de folie ou troubles mentaux sont plus répandus qu’on ne croit mais les moyens d’y remédier sont assez réduits. Ces troubles peuvent survenir après un deuil ou un bouleversement, un choc issu souvent de la famille ; ainsi ont été signalés des troubles survenus chez certaines personnes ayant longtemps vécus dans les forêts ivoiriennes et ne retrouvent pas à leur retour leur place dans la société, ou bien des troubles de maltraitance au sein de la famille. Ces personnes sont souvent hospitalisées mais un certain nombre passe à l’acte et se suicide.

  • LA HONTE, LE DESHONNEUR

Cette honte ou ce déshonneur peut prendre plusieurs formes ; elle correspond aux exigences de la société auxquelles on ne peut pas répondre. Ainsi on se suicide car on n’a pas assez d’argent pour célébrer les funérailles du père ou bien parce que l’adulte a contracté une dette qu’il ne peut plus rembourser.
Cette honte peut avoir une origine collective lorsqu’une personne est accusée par tout le village d’un fait (réel ou supposé) comme le vol, le viol, l’inceste, l’impuissance, le mauvais sort ou toute autre accusation grave. Pour échapper à l’humiliation collective, la personne ainsi accusée préfèrera se suicider que de vivre avec cette honte et la faire subir à sa famille.

Certaines histoires sont très compliquées. Voici deux cas :
Un jeune homme a fui en Côte d’Ivoire avec la femme de son frère. Là-bas ils ont eu deux enfants qui sont morts et la femme est également décédée. L’homme est alors revenu dans son village d’origine. Il a demandé au chauffeur de l’arrêter avant l’entrée de la ville. On l’a retrouvé pendu à un arbre, ses bagages posés au pied de l’arbre.

– L’autre cas concerne une femme d’orpailleur qui a volé l’or de son mari pour aller le v endre. A-t-elle eu des remords ? Toujours est-il qu’elle a fini par avaler de la mort aux rats. Ou bien en 2016, cette femme prise en flagrant délit de vol et que l’on promena dans le marché de la ville après l’avoir en partie dévêtue. De honte, elle se pendit après avoir été libérée.

  • LA MISERE OU L’ECHEC

La période de la soudure est très difficile à vivre, d’autant plus qu’elle se situe en période d’hivernage (période qui demande beaucoup d’efforts physiques). Il est difficile de s’humilier pour aller demander de l’aide alimentaire chez le voisin (qui souvent n’est pas mieux loti), et lorsque la maladie s’introduit dans ce schéma cela devient vite une catastrophe. Le chef de famille (ou la mère de famille) préfère parfois la fuite par le suicide.
Chez les cotonculteurs (notamment dans l’ethnie bwaba), les cultivateurs prennent des intrants à crédit, mais la récolte n’est pas toujours à la hauteur et le cotonculteur se trouve débiteur, dans l’incapacité de régler son crédit. Cela devient une honte dans le village, il va alors en brousse pour se donner la mort pour éviter d’être indexé au village comme celui qui a perdu toute sa récolte et doit encore de l’argent à la SOFITEX.
Mais le chef de famille peut également se suicider pour des raisons économiques : par exemple faute d’argent suffisant pour envoyer ses enfants à l’école ou pouvoir les soigner.

  • LES MARIAGES FORCES

En milieu rural, la plupart des suicides de jeunes filles sont liés aux mariages forcés. Les jeunes filles sont données en mariage par les parents et trop souvent le fiancé est une personnes déjà vieille.

Deux cas pratiques :

2014 à Nagre. Taripoa est une jeune fille de 18 ans promise depuis longtemps à un vieil homme. Elle fréquentait un jeune homme qu’elle voulait épouser. La famille opposa un refus catégorique. Par deux fois, elle s’enfuit pour retrouver son amoureux et fut ramenée de force dans sa famille. A sa troisième fuite, son père l’a bannie pour avoir manqué à sa parole d’épouser le vieux. Un message fut adressé à la jeune fille en ce sens. Celle-ci rentra à la maison paternelle et la nuit suivante, elle se pendit à un arbre.

2012 : Yenipanibo est une jeune fille de 15 ans du village de Djora. Promise en mariage à l’ami intime de son père, elle refusa catégoriquement cette union. Son père resta ferme dans sa décision et la date fut programmée pour la dot. La veille, elle avala des herbicides et décéda malgré une évacuation au centre de santé le plus proche.

Les cas sont hélas très nombreux.

  • LES PROBLEMES FAMILIAUX

Une infirmière interrogée sur les causes des suicides répliqua : ” les suicides diminueront lorsque les hommes cesseront leurs conneries !
De nombreux suicides ont effectivement les problèmes familiaux comme origine. C’est même le premier motif de suicide des femmes : soit le mari veut en épouser une autre, soit il est infidèle. Dans certains cas, l’homme a plusieurs femmes et choisit d’en n’aimer qu’une seule au mépris des autres, ou bien encore les co-épouses ne s’entendent pas et le conflit peut prendre des proportions graves.
Ainsi au mois de janvier 2017 ; quatre tentatives de suicide ont été reçus au CSPS du secteur 4 de Fada.
Mais l’adultère féminin peut conduire également la mari au suicide. Cela a été le cas d’un gendarme dont la femme était partie pour un stage en brousse et qu’il a retrouvée au village s’étant installée avec le chef de poste. Il est revenu pour en ville pour se tirer une balle dans la tête. C’est le cas également de militaires envoyés en opération et qui retrouvent leur femme chez un autre à leur retour. Le suicide est alors quelque fois précédé du meurtre de la femme.
L’adultère peut conduire également d’autres personnes de la famille au suicide : le père, la mère, la grand-mère… ceci afin d’éviter le déshonneur familial.
Les mauvais traitements envers la femme ou bien envers les enfants (viol, inceste, personnes battues) peuvent amener femme ou enfants au suicide. Plusieurs cas ont été signalé de père de famille maudissant un fils et le poussant à se supprimer.

  • LA MALADIE

La maladie est source de nombreux suicides. Parfois un malade se suicide à l’annonce même de sa pathologie à l’hôpital. Cette maladie va engendrer des frais auxquels la famille ne pourra faire face, ou bien le désespoir d’apprendre qu’il est atteint de maladie grave peut contraindre la personne à chercher son salut dans le suicide.

Plusieurs malades du SIDA se sont suicidés. Cette maladie honteuse est extrêmement mal considérée. On n’en parle surtout pas, même au sein de la famille. Lors de funérailles, lorsqu’on apprend que le défunt est décédé du SIDA ; la cour de la famille sera désertée. Aussi certains malades préfèrent fuir en se suicidant.
Ces suicides dus à des maladies ou pathologies graves peuvent être imputés à la honte. Ainsi une jeune femme s’est suicidée en apprenant qu’elle n’avait pas d’utérus et donc ne pouvait avoir d’enfants.

  • LA COUTUME

Le poids de la coutume est très important en brousse. Les diverses croyances traditionnelles pèsent lourds dans l’origine de nombreux suicides.

La malédiction

Dans la famille traditionnelle burkinabè (et Ouest africaine), la bénédiction du chef de famille est très importante. D’une manière générale les Burkinabè sont sensibles aux messages qu’ils reçoivent au sein de la famille. Aussi recevoir la malédiction et/ou le bannissement du chef de famille (et donc de toute la famille) est insupportable. La personne fera tout pour lever cette malédiction et se donnera la mort pour y échapper.

L’honneur

Le Burkinabè préfère se donner la mort plutôt que subir l’affront de la honte. Certaines personnes sont acculées et n’ont pas d’autre choix que se donner la mort (parfois même : on les y encourage).
Toute mort a une origine suspecte donc il faut rechercher les causes et surtout l’auteur. C’est ainsi que de nombreuses femmes sont accusées de sorcelleries dans les villages (surtout les femmes seules). Elles sont alors systématiquement bannies. Soit elles choisissent de mettre fin à leurs jours soit on les retrouve en ville (notamment à Ouagadougou dans les “maisons de sorcières”).

Exemple en 2013. Mariam est une femme gourmantché de Piega. Après la mort de son mari, elle vécut avec son fils unique dans la cour du frère de son mari. On l’accusait de partout de la mort de son mari. En 2011, son fils part chercher fortune dans un site d’orpaillage et y laisse sa vie. De nouveau, Mariam fut indexée par le village comme étant à l’origine de cette mort. Elle subit des humiliations de tous les côtés jusqu’à ce qu’elle se décide un jour de se passer la corde au cou dans sa case.

L’envoûtement, l’ensorcellement

Cet envoutement peut prendre plusieurs formes :
Il y a des cas où une personne se suicide et après enquête de la famille, il s’avère qu’il n’avait apparemment aucune raison de se donner la mort. On va fouiller dans le passé de sa lignée pour se rendre compte qu’il n’est pas le premier de la grande famille à se suicider. Il y a donc un sort jeté sur la famille qu’il faudra dénouer par des sacrifices.
Dans le même ordre d’idées : on peut trouver une famille où le nombre de parents qui se suicident est anormalement élevé. En enquêtant dans le passé de la famille : on découvre qu’un ancêtre s’est suicidé mais son esprit continue de planer sur la famille. Lorsque nait un fils ou une fille qui lui ressemble par le caractère ; celui-ci n’aura d’autres alternatives que de se tuer à son tour.

Certaines personnes maléfiques peuvent décider de jeter un sort sur une personne ou sa famille par jalousie ou pour un règlement de comptes. il est possible d’ensorceler quelqu’un en faisant des sacrifices avec des rites particuliers accompagnés de voeux.
Lorsqu’une personne est très riche et égoïste, son entourage peut lui lancer un sort qui va le conduire à se suicider. En 2011 Fodja, un éleveur riche et renommé, avait la réputation d’être grossier envers ses camarades lorsqu’il avait bu trop de dolo. Un jour au retour du marché, il s’est rendu dans son champ, il prit une corde et s’est pendu. Comme aucune raison valable n’a été trouvé à son geste, on conclut qu’on lui avait jeté un sort.

Un suicide peut survenir également à la suite d’une dette contractée par une famille. Cette dette provient du fait que des sacrifices devaient être faits pour une circonstance précise et n’ont pu être réalisés. Par conséquent, le suicide sera le paix à payer. Le village pense alors qu’il s’agit d’une intervention divine ou bien celle des ancêtres.

Voici un cas surprenant de possession qui nous a été raconté à Bobo Dioulasso :
Un ami que je côtoyais au club de karaté s’est pendu car il croyait qu’on lui avait jeté un sort. Il m’a expliqué que pendant qu’il se soulageait, il a senti un corps vivant lui pénétrer l’anus. Il l’a rattrapé pour l’empêcher de rentrer et a même appelé sa mère qui a accouru mais en vain. Ainsi apparut le début de douleurs au ventre parfois insupportables. Il a fini par s’isoler pour s’adonner à son élevage de porcs. Un jour, c’est ma grande soeur qui m’a informé de son suicide la corde au cou. Il avait entre 35 et 40 ans.”

Dans un autre ordre d’idées : certaines personnes s’orientent vers les forces maléfiques afin de favoriser une réussite matérielle. La personne conclut un pacte avec des personnes détentrices de pouvoirs maléfiques.
Au début : tout se passe bien et la personne prospère. Mais un jour vient où tout bascule pour une raison ou une autre (sans doute la transgression des clauses du pacte). L’individu perd tout ce qu’il possédait jusqu’à perdre le contrôle de lui-même et finir par se suicider.

  • LES PROBLEMES SCOLAIRES

Depuis plusieurs années, on assiste en ville à de nombreux suicides d’élèves (collège, grands élèves de primaires, lycée..). Les raisons sont multiples. Deux ou trois cas d’élèves ont été signalés, qui se sont suicidés pour des problèmes d’argent. Le père n’avait pas assez d’argent pour régler la scolarité, l’enfant s’est vu réclamer la somme à l’école ou au collège.
L’échec à un examen ou un passage en classe supérieure a été également source de suicide. L’échec au BEPC étant le cas le plus fréquent. Mais parfois le suicide peut provenir d’une simple réprimande donnée par un tiers adulte, ou un fait plus inquiétant : c’est la mise à l’index d’un jeune (souvent des jeunes filles) par ses camarades. Les moqueries, l’humiliation peut mener au suicide.

Un fait moderne : c’est l’apparition des téléphones portables. Des vidéos pornographiques tournées lors de soirées très arrosées sont mises en ligne et concernent l’une ou l’autre élève du collège. La honte mène la jeune fille (ou le jeune homme) à se suicider.

COMMENT SE SUICIDE-T-ON ?

Il y a plusieurs formes de suicides. La pendaison est très mal considérée ; c’est une mauvaise mort et les rites des funérailles s’en ressentent. Par contre l’utilisation d’armes ou de poisons restent “acceptables” dès lors que le suicide était probable voire encouragé.

  • L’utilisation de produits

Heureusement que Monsanto va être illégal au Burkina Faso, il y aura moins de suicides“. Telle est la réflexion d’une personne en réponse à nos questions. Elle voulait dire par là que de nombreux suicides ont pour origine l’absorption de produits toxiques utilisés pour la culture du coton, ou bien des herbicides, ou encore de la mort aux rats.

Il semblerait que la conception des produits insecticides destinés aux champs de coton aient été revue afin de baisser leur toxicité. Peut-être alors les taux de suicide baisseront, sauf si les candidats trouvent d’autres moyens pour se supprimer.

Si la vie urbaine permet l’accès aux médicaments qui seront pris à haute dose, en brousse on avale les herbicides et autres produits toxiques modernes à portée de main, ou alors on a recourt aux poisons traditionnels fabriqués avec des plantes en brousse (ou du venin de serpent).

  • La pendaison

La pendaison est une mort classique en brousse. Elle est considérée comme une mauvaise mort ignominieuse et indigne. Le suicidé est un homme (peu de femmes se pendent). Il se pend à l’aide d’une corde, d’une cravate, de lacets de chaussures ou bien encore des morceaux de tissus. Ce suicide s’exécute soit dans la case en toute intimité, soit la personne part en brousse assez loin pour se pendre. Ces suicides se déroulent souvent la nuit. Etonnamment, la corde du pendu est très recherchée par les féticheurs et les marabouts (comme en Occident).

  • Les armes

Beaucoup d’hommes “de tenue” (policiers, militaires, gendarmes, douaniers…) se suicident avec leur arme de service en se tirant une balle dans la tête.
L’ethnie lobi est connue pour avoir de nombreux suicides dus à leur arme de chasse (notamment dans la zone de Loropeni).

Autre arme : la flèche empoisonnée. C’est une pratique qui tend à se raréfier mais on la rencontre dans des zones lobi ou dagara (notamment dans le secteur de Pouleba). La pratique consiste à s’enfoncer une flèche empoisonnée. Le poison est tellement violent qu’une simple blessure condamne la personne.

Un cas étonnant : un homme habitant dans une petite ville est venu au garage-auto afin d’aiguiser sa machette. Il est reparti chez lui dans sa maison et s’est assis sur sa machette jusqu’à se la rentrer dans l’anus jusqu’à la moitié. Découvert à temps, il a été évacué. Il s’en est sorti vivant.

  • Autres modes de suicides

Plusieurs suicides ont lieu par noyade. Il s’agit essentiellement de personnes qui se jettent dans un puits. Mais on a vu également des personnes se suicider dans un des fleuves du Burkina ou dans un marigot.
Mais les méthodes modernes poussent également les gens à se jeter sous les roues d’un camion ou bien sur les rails au passage d’un train.

LES FUNERAILLES

Les funérailles posent de nombreux problèmes en cas de suicide. Si le suicide par arme à feu ou produits toxiques permet des funérailles, le suicide par pendaison est considéré comme une mort ignominieuse. De plus les villageois pensent qu’il ne faut pas donner d’idées à d’autres personnes. On considère que le défunt n’a eu aucune considération pour le village, la famille ou les traditions.
Dans le cas d’un pendu, on va creuser un trou sous le supplicié. Chez plusieurs ethnies, on garnit le trou de branchages épineux (afin d’éviter que le mort ne revienne tourmenter les vivants). La corde est coupée à la machette et le pendu tombe dans le trou que l’on rebouche immédiatement. Personne n’a le droit de le toucher car il est considéré comme de la pourriture.

Aucune funérailles ne seront organisées. Personne n’a le droit de toucher au corps. Ces funérailles à la va-vite entraînent également une omerta. On n’en parle pas, tout est dans le non-dit. Le pendu est enterré sans être lavé ni même changé. Tout au plus laisse-t-on la famille récupérer quelques objets de valeurs qu’il porte sur lui.
L’arbre du pendu sera brûlé. Cela porte malheur d’utiliser son bois pour la cuisine. Les personnes présentes ne doivent pas présenter leurs salutations à la famille. Elles disent simplement qu’elles sont passée pour dire “Bonjour”.
Si le suicide par pendaison a lieu dans une maison. On creuse un trou dans le mur pour faire passer le corps car celui-ci est indigne de passer par la porte.
Lors de futurs sacrifices, en implorant les ancêtres, le nom du suicidé n’est pas cité. Il est mis hors de la lignée des descendants malgré son rang social. Le défunt est considéré comme responsable de tous les malheurs qui vont advenir dans la famille. On dit que son âme est en suspension et plane sur la lignée, laissant une psychose dans la famille.

Chez les Lobi, les personnes de la famille peuvent assister aux funérailles mais ils doivent suivre un rituel de purification. Celui qui ne le fera pas restera souillé et encourt le même risque de se suicider à son tour. La famille n’est pas pénalisée (contrairement à la plupart des autres ethnies), seule la victime en paye le prix et le clan peut se réjouir d’être débarrassé d’une mauvaise personne (même s’ils regretteront d’avoir perdu l’un des leurs).

Dans le cas de suicides par utilisation de produits toxiques ; les avis sont partagés. Les uns considèrent la mort comme normale (et le mort suit tous les rituels associés à des funérailles classiques). D’autres suivent le rituel prévu pour les obsèques mais la suite est plus restreinte : pas de salutations, pas de rites traditionnels. D’autres – vivant en zones urbaines – organisent des funérailles classiques et complètes, comme s’il s’agissait d’un décès “normal”.

Chez les Dagara (cf le mémoire de l’abbé Louis-Armel), les rites sont particuliers. Ainsi la personne qui a découvert le corps ne peut en avertir directement les parents. Il va voir les anciens de la famille en leur demandant de vérifier le nombre de personnes qui composent la famille. Constatant une absence ; on décide alors d’aller à la recherche du manquant. Le messager les guide jusqu’au lieu du drame mais laisse la famille trouver elle-même le supplicié.
Une fois le corps découvert, il faut informer le chef de terre qui donne une amende à payer et permet de prendre le corps (c’est la seule autorité habilitée à cette autorisation). Cette amende est de 5000 cauris et une poule noire immédiatement sacrifiée afin d’apaiser la terre. Après quoi les funérailles peuvent se dérouler à peu près normalement, sauf quelques rites particuliers, notamment le sacrifice d’une poule sur le lieu de l’enterrement.
Le fossoyeur va sacrifier cette poule pour calmer le “Tingan” (l’Esprit de la Terre). La permission d’enterrer sera donnée par la position de la poule égorgée. Si elle retombe immobile les pattes en l’air, l’autorisation est donnée d’enterrer le défunt, sinon il faut recommencer autant de sacrifices qu’il le faudra.

Particularité : le mort est habillé d’une tenue particulière. On va le vêtir d’une culotte spéciale pour la circonstance, le cadavre est ainsi désigné comme “un cadavre sale”.
Le mort sera enterré dans une tombe unique qui sera scellée définitivement. Le dolo traditionnel servi à chaque funérailles est supprimé, montrant par ce biais qu’il s’agit bel et bien d’une vilaine mort.

APRES LES FUNERAILLES

Toutes les ethnies du Burkina Faso considèrent le suicide comme une mort sale. Mêle les ethnies qui organisent des rites de purification n’échappent pas à l’ostracisme de la famille éplorée.
La cour de la concession se vide ; on ne vient plus rendre visite pour ne pas être touché par le mauvais sort. Cette famille dégringole. Elle st chargée de l’étiquette “famille de malédiction”.
Non contente d’être ostracisée, la famille doit encore payer des dettes (chez les Dagara). L’objectif est de purifier le village de toute souillure (ainsi que la famille du défunt). La dette est fixée par le chef de terre à 2500 cauris, trois poules et des chèvres. La famille concernée est obligée d’honorer ses dettes afin que le chef de terre conjure le mauvais sort et attire la protection des ancêtres sur la famille et sur le village.

Le lieu du drame exige une purification car souillé par le suicide. Le “Tigan-sob” (ou “prêtre de l’Esprit de la §Terre”) fixe une amende de 1000 cauris en plus d’un boeuf ou d’une chèvre. L’animal sera amené à faire trois ou quatre fois le tour du lieu indiqué (suivant le sexe de la personne suicidée), après quoi l’animal sera immolé et son sang répandu pour purifier le sol. (Mémoire de l’abbé Louis-Armel).

En cas de pendaison, l’arbre est entièrement brûlé afin que personne n’ait la tentation de s’en servir. Ce bois est réputé dangereux voire mortel.

Si le suicide s’est déroulé dans la case ; celle-ci doit être inhabitée pendant un certain temps afin de la purifier, voire même on incite la famille à l’abandonner pour la détruire.
après les funérailles chez les Dagara, la famille prépare un dolo rituel. Le défunt vient le boire en compagnie des ancêtres comme le veut la tradition. Ceux-ci lavent le défunt avec ce dolo avant de le conduire au pays des ancêtres. Ce dolo matérialise la communication et l’harmonie entre les morts et les vivants. Déroger à ces rites serait très dangereux pour la famille. Elle s’expose à ce que l’âme du défunt séjour sur le “da-zuur“, arbre épineux de brousse qui donne des fruits jaunes d’où il viendra régulièrement agresser la famille.

Actuellement, ces rites sont en train de changer. Entre autre, l’amende est payée en francs cfa, car on trouve de moins en moins de cauris.
Malgré tous ces rites ; les familles rencontrent de grandes difficultés pour se réinserer dans la société. On la suspecte de porter malheur et on l’évite. Par ailleurs, l’exploitation des suicides par les dettes (souvent exagérées) conduisent la famille à se ruiner voire s’endetter, et en vain puisqu’elle sera dans tous les cas de figure, mise à l’index du village.

DES CHIFFRES ET DES ETHNIES

Il est impossible de fournir des chiffres concernant le suicide au Burkina Faso. si les pendaisons sont souvent repérées par les gendarmes, les suicides par empoisonnement sont ignorés car les familles ne préviennent pas les autorités. C’est surtout vrai en brousse (près de 80% de la population vit en brousse) où l’on préfère prévenir le chef de terre, voire régler les problèmes “entre soi”.

Certaines ethnies se suicident plus que d’autres. Lors de l’enquête (mais sans que nous n’ayons pu vérifier), plusieurs personnes nous ont parlé d’un taux élevé de suicides chez les Bwaba (jusqu’à 15% des décès). Les Mosse et les Gourounsi également pratiquent des funérailles très strictes. Par contre chez les Dogon (ethnie minoritaire au Burkina Faso) le suicide est traditionnellement banni.

En milieu Lobi, certaines zones ont très peu de suicides, mais il semblerait que Loropeni concentre un fort taux de cas de suicides. En milieu Dagara, certaines zones ont également la particularité d’avoir de nombreux suicides (par exemple en 2005 : 7 cas de suicides en deux mois ont été recensés dans un petit village de la commune de Gueguere). Cette même année 2005-2006 verra 16 cas de suicides recensés à Dano.

En ville, le phénomène prend de l’ampleur : surtout les problèmes conjugaux ou de mariages forcés ou bien des morts de jeunes. Par exemple à Fada n’Gourma : 4 cas de tentatives de suicides ont été recensés en deux mois sur un seul CSPS. Toutes les personnes ont pu être sauvées.

EN CONCLUSION

Tous les suicides ne débouchent pas sur la mort. Certains sont des appels au secours et la personne est secourue sans problème. D’autres ont été découvertes à temps et la personne évacuée à l’hôpital a pu être sauvée. Mais les suivis psychologiques restent rares et il est très difficile de pouvoir aborder le sujet avec la personne qui a tenté de se supprimer.

Le nombre de suicides prend des proportions inquiétantes surtout en ville et surtout chez les jeunes. C’est un défi que la société burkinabè devra prendre en compte dans les années qui viennent afin de faire tomber les tabous.

EN SAVOIR PLUS

  • Abbé Louis-Armel Somé : “le suicide en milieu Wulé“. Mémoire en théologie soutenu en juin 2006.
  • Revue “Perspective psy”. Article du professeur Arouna Ouedraogo : “Tentatives de suicides à répétitions et dépression chez l’adulte jeune : étude sur un cas clinique à Ouagadougou au Burkina Faso“. vol 46, page 173 – 180.

ARTICLES DANS LES MEDIAS

Ce dossier a été réalisé par Annelise Chalamon et Soumana Natama après une vaste enquête sur le terrain, par téléphone ou par mail. Que les personnes qui se sont prêtées au jeu soient infiniment remerciées. Les citer toutes serait compliqué d’autant plus que nombre d’entre elles ont demandé  expressément à ne pas être nommées. Qu’elles sachent que leur témoignage a été pris en considération pour ce sujet encore très sensible.
Un remerciement particulier à l’abbé Louis-Armel Somé, prêtre du diocèse de Diebougou pour son mémoire : ” Le suicide en milieu Wulé “, un travail remarquable et complet qui a permis une meilleure compréhension du suicide en milieu traditionnel.

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