Mon père, 1er gouverneur de Haute Volta

Odette Hesling a bientôt 105 ans avec toute sa tête, tous ses souvenirs, tous ses yeux…. Elle vit en maison de retraite à Grasse où elle a accepté de raconter sa vie. Cette rencontre a eu lieu le 23 mars 2012.
Odette est décédée en février 2015.

Née en 1907, elle avait une dizaine d’années lorsque son père – Edouard Hesling, administrateur à Madagascar, fut nommé premier gouverneur de la Haute-Volta où toute la famille vint s’installer en 1919.

Pouvez-vous nous parler de votre arrivée à Ouagadougou en 1919 ?

J’avais alors 11 ans, nous quittions Madagascar où j’avais passé toute mon enfance au point de parler malgache. Nous y avions une très belle maison. Nous sommes arrivés en Haute-Volta dans un gros village appelé Wagadugu. Rien n’était construit pour nous loger, nous avons donc logé dans une maison en banco où les seuls meubles étaient une table et quelques chaises. Ma mère a acheté des nattes au marché.
Je me rappelle de notre arrivée car les gens n’avaient jamais vu d’enfants blancs aussi il y avait un attroupement autour de nous.
Puis mon père a fait construire le premier gouvernorat. Ma mère a fait venir des meubles de France et nous avons pu avoir le confort qui existait à cette période, même s’il n’y avait pas l’électricité.
Le jardin était magnifique ; je me rappelle entre autre d’un très vieux baobab qui était très connu. J’espère qu’il existe toujours.

Comment de déroulait le quotidien à Ouagadougou ?

Avec ma soeur, nous n’allions pas à l’école car il n’y en avait pas pour les français à l’époque. Des professeurs venaient à la maison pour nous donner des cours.
Lorsqu’il faisait très chaud, nous dormions sur la terrasse mais je n’aimais guère cela à cause de la lumière de la lune ou des bruits et je redescendais dans la maison vers 5 heures du matin.
La nuit, portes et fenêtres restaient grandes ouvertes et nous dormions sous une moustiquaire. J’étais à moitié rassurée car j’entendais dans le jardin les hyènes qui venaient aboyer. Au loin il y avait un gros troupeau de zébus et la nuit nous entendions les lions qui venaient chercher leur proie en rugissant. Mais je n’ai pas le souvenir d’avoir eu vraiment peur malgré les nombreux serpents que l’on rencontrait dans le jardin (dont un boa qui était rentré dans la maison).

Pour la nourriture, nous achetions au marché tous les légumes ou la viande dont nous avions besoin ; cela ne posait guère de problèmes. J’aimais bien cuisiner le gombo. J’aimais également la papaye : j’utilisais la papaye verte que je cuisais comme un légume et la papaye mûre comme fruit. Nous cuisinions également beaucoup le mil mais sous forme de graine.

Pour s’habiller, ce n’était pas compliqué. Nous achetions des pagnes au marché et nous confectionnions nous-mêmes nos robes. Ma mère nous avait appris à coudre. Pour le reste nous le faisions venir de France.
Le dimanche : nous partions avec des amis à vélo pour un lac qui se trouvait à une dizaine de kilomètres de Ouagadougou et là nous pique-niquions.

Pouvez-vous nous parler du personnel embauché par votre mère ?

Ma mère avait embauché une dizaine de personnes : un cuisinier (qui a vite réclamé un marmiton pour l’aider), une femme pour s’occuper de nous, une femme pour le linge, une autre pour le ménage, un jardinier, un boy-panka …

Un boy-panka ?

Le panka était un morceau de bois fixé au plafond d’où pendaient des tissus ; une personne était chargée d’agiter ces tissus à l’aide d’une corde et d’une poulie pour faire de l’air pendant que nous prenions nos repas…. C’était le premier ventilateur !

Tout ce personnel était très attaché à nous. Lorsque nous sommes retournés en France pour un bref séjour ; nous en avons amené deux avec nous. Ils étaient tellement ravis que le cuisinier a voulu rester en France mais ce n’était pas possible.
Ils étaient tous de l’ethnie moaga et à la longue j’avais fini par apprendre un peu de mooré mais j’ai tout oublié.

Vos souvenirs de brousse ?

J’aimais beaucoup la brousse, d’ailleurs j’allais souvent m’y promener toute seule : c’était calme, c’était la nature… Mais ce n’était pas sans danger, aussi dès que je me suis fiancée, mon fiancé n’a plus voulu que j’y aille seule.

J’ai parfois accompagné mon père dans ses tournées quand il partait en voiture, mais le plus souvent j’accompagnais le médecin qui partait dans les villages soigner les enfants et les adultes. Je l’ai souvent assisté pour des accouchements. On dépistait les enfants malades, mais il s’agissait souvent de problèmes intestinaux. On les soignait – pour les moins graves – avec des plantes locales dont je ne me rappelle plus le nom mais également avec de la papaye, connue pour réguler les problèmes intestinaux.

Je me rappelle également d’un long voyage en voiture où nous avons fait un arrêt à Gaoua. Je me rappelle d’une grande place où nous avons fait halte. Je me suis assise entourée d’une nuée d’enfants qui nous regardaient avec curiosité n’ayant jamais vu ni blanc ni voiture.

Parlez-nous de votre père, le gouverneur Edouard Hesling.

Il faisait ses tournées à cheval ; il faut dire qu’à ce moment les pistes n’étaient guère praticables pour les voitures. Nous avions bien une voiture mais elle était vieille. Un jour, mon père est tombé en panne dans un marigot et il a dû faire trente kilomètres à pied pour rentrer à la maison.

Quelques années après, il a pu avoir une nouvelle voiture avec laquelle il pouvait faire des tournées plus lointaines. Il se rendait en voiture dans le bourg le plus important et allait visiter les villages à cheval. Il a toujours refusé d’être accompagné d’une escorte de tirailleurs comme ont fait d’autres administrateurs. Il partait seul avec un interprète et n’a jamais eu le moindre problème.
Sa tâche était d’administrer le pays, voir si les gens avaient assez à manger, si la visite du médecin n’était pas nécessaire. Après je n’étais pas au courant des problèmes qu’il devait gérer.
Je sais en tout cas qu’il avait un très bon contact avec le Mogho Naba avec qui il discutait volontiers. Ce dernier venait lui rendre visite tous les vendredis, en grande tenue, le cheval caparaçonné, accompagné de ses ministres. D’ailleurs, à son départ, le Mogho Naba a offert à mon père un bureau en bois avec la bibliothèque assortie. Sur le bureau il y avait une plaque sur laquelle était gravée : ” la Haute Volta à son gouverneur”. C’est mon fils qui en a hérité.

Mon père est resté gouverneur de Haute-Volta pendant de nombreuses années. Je sais qu’il a considérablement construit – notamment des routes – et favorisé la culture du coton.
Il est rentré en France ne 1927 où il s’est occupé de l’Agence Cotonnière Coloniale. Il est mort en 1934 des suites d’un cancer où on avait dû lui amputer la jambe.
On a construit ensuite un nouveau gouvernorat plus grand, à quelques encablures de lui où j’ai vécu. Il était au bout d’une grande avenue. (NB : actuellement ce bâtiment abrite le Premier Ministère).

Quelle a été votre vie de jeune fille à Ouagadougou ?

Nous jouions au tennis, aux cartes, nous faisions du vélo…. Il y avait peu de jeunes filles blanches à cette époque aussi nous étions très courtisées. 5 jeunes officiers m’ont demandé en mariage.J’ai fait la connaissance de mon futur mari – qui était un jeune officier d’Infanterie Coloniale – j’avais alors 15 ans. Nous nous sommes mariés à la Cathédrale de Ouagadougou en 1925. Nous avons d’abord vécu chez mes parents puis des prisonniers ont tenu à nous construire une maison dans laquelle nous avons emménagé.
Ma fille aînée – Jeanine – est née sur place en 1926. Elle a été baptisée à la Cathédrale de Ouagadougou en 1927. Ma seconde fille est également née à Ouagadougou. Nous avons quitté la Haute-Volta puis mon père nous a rappelé, prenant mon mari comme adjoint

Mon frère et ma soeur ont également fait connaissance de leur future femme ou mari à Ouagadougou mais ils se sont mariés en France et ont plutôt fait carrière au Congo ou au Soudan (l’actuel Mali).

Quant à moi je ne suis jamais revenue en Haute-Volta. Avec la deuxième guerre mondiale, mon mari a été muté en Indochine. Lorsqu’au bout de 5 ans, j’ai enfin eu la permission de le rejoindre, la Japonais ont alors envahi la région où il était et il s’est fait massacrer avec de nombreux autres soldats.

Mes enfants sont âgés maintenant, ils ont gardé un souvenir très fort de la Haute-Volta. Mes petits enfants par contre ne sont guère intéressés par tout ce que nous avons vécu en Afrique.

Pour en savoir plus

Frédéric, Charles, Edouard, Alexis Hesling a vécu de 1869 à 1934. Il a été le premier gouverneur de Haute-Volta entre 1919 et 1927.
Il est connu pour avoir construit de nombreux bâtiments, des pistes et des routes et avoir imposé la culture du coton dans tout le pays.
Voici une étude très intéressante de la ville de Ouagadougou de 1919 ,à 1932 dans lequel il est question de la transformation de la ville. Voir ici

(Crédit photos : A. Chalamon – O. Maria)