Cinquante ans d’engagements au service de l’Afrique
QUELQUES DATES, TOUTE UNE VIE……..
Régis Chaix nait le 15 juillet 1929 à Privas en Ardèche, 4ème de 7 enfants. Il rentre en septembre 1948 au grand séminaire de Viviers. En 1950, il décide de rentrer chez les “Pères Blancs” et intègre le noviciat de Maison Carrée en Algérie avant d’être envoyé pendant un an de service militaire au 6ème cuirassé de Bizerte. De 1952 à 1956 il suit son scolasticat en Tunisie avant d’être ordonné prêtre en avril 1956.
Dès le mois de mai 1956 il est envoyé en Haute-Volta pour le nommer le 27 septembre à Manga. Un an après il est envoyé à Sapone puis à l’école de catéchistes de Guilongou. En avril 1959 il est renvoyé à Manga jsuqu’en 1970 où il est nommé à la paroisse de Kombissiri et en 1974 celle de Toece. En janvier 1982 il est envoyé au CESAO comme formateur à Bobo Dioulasso.
En janvier 1987, il est nommé supérieur régional pour le Burkina Faso avant d’être envoyé au Tchad en 1993.
En 1999 c’est le retour en France avec une nomination à la direction de la maison de retraite des Pères Blancs à Billère près de Pau avant de prendre sa retraite dans le Var au domaine de Tassy en 2004 puis dans les Pyrénées en 2015.
Le séminariste Régis Chaix
TEMOIGNAGE
L’abbé Régis Chaix vit dans les Pyrénées, après avoir vécu 11 ans au domaine de Tassy (près de Fayence dans le Var) avec des confrères qui ont également parcouru l’Afrique. L’homme est discret, modeste même, mais il raconte très volontiers son expérience de 50 ans d’Afrique dont la majeure partie en Haute-Volta puis Burkina Faso.
Homme pragmatique, toute sa vie il a cherché avec ses confrères à :
- Améliorer les conditions de vie du paysans voltaïque à travers des forages, diverses cultures dont la participation à l’introduction de la culture du haricot vert, et surtout l’élaboration de la houe manga qui est toujours utilisée au Burkina Faso.
- Créer des communautés de paysans, d’animateurs ruraux, de chrétiens qui puissent être formés et autonomes.
- Donner une fierté et une dignité à toutes les personnes qu’il a pu rencontrer et aider.
Jamais à court d’idées ; l’abbé Régis Chaix a passé sa vie à chercher des solutions afin d’améliorer le quotidien. Considérant qu’une technique n’est jamais figée dans le temps mais en perpétuelle évolution : le meilleur exemple de son travail reste la houe Manga, sorte de “multiculteur” toujours utilisé au Burkina Faso, sans que grand monde ne sache qu’il en est l’auteur.
Pour le cinquantenaire de son ordination l’abbé Régis Chaix a rédigé plusieurs mémoires et études à la demande de sa communauté et de sa famille sur les différents postes qu’il a occupés dans sa vie de Père Blancs. En voici quelques extraits dont certains sont tirés d’un journal qu’il tenait à l’époque.
L’ETAT DES ROUTES
6 septembre 1956. Départ d’Abidjan pour Ouagadougou par la route….
“Nous avons d’abord avalé 150 kilomètres de route goudronnée, très bonne mais assez accidentée. Nous étions déjà dans la forêt, grands arbres et lianes ne laissant pas la vue à plus de 2 mètres, sous-bois à droite et à gauche de la route. De temps en temps, des plantations de bananiers, ananas, caféiers. Au bout de ces quelques kilomètres de billard, nous avons soufflé une demi-heure avant de commencer la rigolade. Suivant les bons conseils reçus, nous avons préparé mon fusil pour essayer de ne pas arriver les mains vides dans les différents postes où nous demanderions l’hospitalité.
Alors commence le sport : la route de terre, pas de pierre. On rabote la terre ou l’on recharge ; c’est tout l’entretien. Derrière nous, nous soulevons un nuage de poussière rouge assez considérable. On pouvait le juger par la couleur extérieure de la voiture et par la couleur intérieure car çà pénètre partout. Une grosse poussière rouge, quelque chose de bien. On appréciait çà aussi lorsque quelqu’un nous croisait : il fallait attendre trente secondes pour y voir un peu.
Nous avons trouvé plusieurs genres de routes ce jour-là. Soit le billard plat qui vient d’être entretenu avec les bulldozers, qui est soit mou si c’est fait de un ou deux jours, soit un peu plus dur s’il y a déjà des voitures qui ont roulé. On trouve aussi la route avec un tas de terre au milieu et deux ornières de camion de chaque côté, qui pour les 2CV sont souvent un peu hautes. Alors on fait du ski sur le ventre, car il n’y a pas moyen de passer à droite ou à gauche : on aurait continuellement une route dans le sable mou. Souvent il y a 3 ornières et ce n’est pas plus commode, au contraire, car là on ne peut jamais passer complètement à droite ou à gauche.
Ce jour-là nous avons trouvé aussi la tôle ondulée. C’est simple : prenez une tôle ondulée que l’on met sur les toits en France et ici aussi. Mettez la plaque dans le sens de la longueur, en travers de la route et roulez dessus. Vous avez de grandes ondulations très régulières qui traverses toute la route. çà, c’est de la rigolade : en 2CV on s’amuse, pas de difficulté. Quand on est là-dessus, c’est comme du verglas : pourtant il faut soit conduire à 10 à l’heure et on est secoué comme dans un panier à salade, soit il faut rouler à 70. C’est ce que nous faisons.
Toute cette journée, la route était tout à fait bonne à côté de ce que nous avons trouvé les jours suivants. Il faut faire un peu attention lorsque l’on croise un véhicule pour ne pas se mettre en travers ; mais à part çà : ce sont des routes qui ont 10 ou 12 mètres de large, alors on peut faire des écarts sans danger.”
LA LANGUE MOORE
“Pour mieux apprendre les noms des arbres et des plantes, j’avais fait un bel herbier. Je parlais le “mooré” le plus possible, tant que je pouvais, plus que ce que je n’étudiais la grammaire.
Pour parler correctement dans cette langue, il faut aligner des proverbes les uns après les autres. Même 30 ans après, bien que je ne sois pas le plus mauvais en langue “des Mossi”, il arrivait encore qu’un vieux m’écoute puis dise à son fils ou au catéchiste : ” qu’est-ce qu’il a dit ? “. Leçon d’humilité !!
L’examen de langue était oral avec entre autre une confession simulée puisque, l’examen réussi, on pouvait confesseur. Heureusement que le Bon Dieu est miséricordieux pour les pécheurs, car au début je ne comprenais pas grande chose. Ils avaient cependant l’absolution !”
L’ancienne église de Manga et la nouvelle
FOYER DE JEUNES FILLES
“ Il y avait une communauté de soeurs diocésaines, africaines, qui s’occupaient, entre autres choses, d’un “foyer des filles”. Toujours le même procédé : des filles dont les mères ne veulent pas du mari auquel elles sont données coutumièrement, et cela pour différentes raisons : soit l’âge très différent, soit les cadeaux insuffisants au yeux de la mère, soit un rival ami de la mère ou même directement la fille.
Ces filles se souvent de chez leur mari au moment où elles y sont accompagnées, quelque fois plusieurs mois avant le mariage même. Partant de chez le mari la faute ne retombe pas sur la famille qui a remis la financée à sa nouvelle famille. Ce n’est pas elle qui l’a laissé partir mais probablement le futur mari qui ne l’a pas très bien traitée, dit-on pour se couvrir.
Connaissant bien la filière, informée par d’autres filles, ou femmes du village, elles viennent dans le foyer des soeurs, à la mission, pour demander asile. Très souvent cela déclenche de grands palabres chez le curé, avec des cris, des menaces du mari lésé, et parfois des deux familles. (J’ai dû un jour à Manga, fermer mon bureau car les familles commençaient à me jeter des cailloux).
Si la démarche rituelle de réclamation a été faite, souvent on en reste à et si la fille n’est pas bien : elle partira d’elle-même. J’ai vu des mères de famille envoyer quelqu’un nous prévenir, avant le jugement, qu’elles vont crier contre leur fille, mais qu’elles sont bien contentes qu’elle soit là.
Si la famille veut poursuivre, elle peut aller en jugement chez le Commandant de Cercle. Là, suivant la personne, il libère la fille, soit en la laissant aller où elle veut, soit en la rendant d’office à sa famille, et alors nous repartons à la case départ.
Ces foyers aident encore à la libération et à la formation des filles, car elles travaillent pour vivre, cultivent, font du tissage, du petit commerce et reçoivent une formation donnée par les soeurs. Maintenant qu’il y a plus d’émancipation, les filles partent en Côte d’Ivoire ou autre, chacune emmenée par un garçon. La famille n’aime pas bien çà et préfère les voir proches de chez elle.”
L’entrée du CESAO à Bobo Dioulasso
LES PUITS
” Des organismes avaient déjà commencé à creuser de grands puits, en ciment et ferraillage, de construction difficile et coûteuse. Souvent cela se faisait par un organisme, sans aucune consultation ni participation de la population et leur grand diamètre (jusqu’à 3 mètres) devenait un danger pour ceux qui devaient y puiser, surtout pour les enfants. Ils restaient assez peu nombreux, souvent loin des villages.
Il fallait donc chercher une autre solution, peu coûteuse, facile à réaliser et où la population pouvait s’investir.
Le Secours Catholique, par des financements de petits projets – “Microréalisations” – aidait les villageois qui voulaient bien y collaborer, à creuser et construire des puits, en dur.
Ce procédé aidait déjà les gens à se rencontrer, se parler, pour établir le projet. Par ce moyen, des villages qui auparavant s’ignoraient ou se disputaient, devenaient amis autour de “Notre Puits”. La participation des populations pour le choix du lieu d’implantation, le ramassage des matériaux, la main d’oeuvre et la prise en charge du maçon puisatier, faisaient que les villageois parlaient de “Notre Puits”. Ils l’entretenaient régulièrement, règlementaient l’utilisation, souvent autour d’un comité de puits. Pour ceux réalisés sans l’apport des populations, celles-ci se sentaient bien moins concernées et, dès qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, le chef de village envoyait son secrétaire chez le préfet et lui disant : “Votre puits” est à sec, ou “Votre pompe” ne marche plus.
C’est à Manga que nous avons fait les premiers essais. Au départ, il y avait donc tout le travail de préparation des villageois. Puis, a suivi la mise en point d’un système de construction en pierres (que l’on trouvait en abondance sur place) autour d’un moule métallique, démontable en trois parties, donnant un puis d’un diamètre de 1,20 m ou 1,50 m. Chaque partie du moule avait avait de 60 à 80 centimètres de haut et donc était très maniable.
Pour creuser et sortir la terre, ou l’eau, une équipe en permanence dans le puits et hors du puits, avec une corde, une poulie et des seaux, travaillait durant le temps qu’il fallait. Arrivé à l’eau, la construction commençait avec la mise en place du moule, la descente des pierres et du béton, toujours avec des seaux, pour construire un mur de 30 à 40 centimètres de large, entre la terre et le moule. Morceau par morceau, le mur montait jusqu’à l’extérieur. Et si, ensuite la réserve d’eau baissait, il suffisait de recreuser encore un peu en-dessous du mur dans le puits.
Le sable, le gravier, les cailloux, l’eau pour la construction étaient apportés par les femmes et les enfants. Presque tout de suite, nous avons eu les premières charrettes, un modèle mis au point par un Frère de la mission à Ouagadougou, le Frère Lefrançois (…).
Avec le Secours Catholique, l’Ambassade d’Amérique a aidé à payer l’achat des charrettes et du ciment. Ils fournissaient aussi de la farine de maïs pour la nourriture des travailleurs. (…)
Cette méthode d’implantation des puits a permis aux villageois d’en creuser à des prix de revient minimum, imbattables, qui encourageaient les organismes à nous aider. Nous avons eu au moins une cinquantaine de puits financés par les employés de l’usine “SEB” de Lourdes. (…)
Il y avait deux ou trois maçons spécialistes pour les puits, car descendre travailler à 20 ou 30 mètres au fond d’un trou, n’est pas toujours évident. Nous cherchions toujours à en former le plus possible, sûrement des dizaines dans ma carrière de missionnaire.”
LA HOUE MANGA
” A Manga, nous avons continué nos recherches sur la culture attelée. Le premier problème a été de trouver un matériel adapté à nos besoins, pas la charrue qui est peu utilisable sur les terres de latérite pauvres, mais un outil qui peut gratter le sol pour une préparation avant les semis et, surtout au départ, le sarclage pour enlever l’herbe après les semis.
Après avoir consulté tous les constructeurs de matériel agricole en France, nous ne trouvions personne qui fasse encore ce genre d’outil à traction animale. Seule une maison, les Etablissements Gard, à Potelière dans le Gard, on répondu à notre appel car, étant de la famille d’un Père Blanc, ils ont bien voulu nous proposer leur modèle de “multiculteur”, qu’ils commercialisaient auparavant, spécialement pour les vignerons. Ils se proposaient de nous en fournir. Nous avons donc reçu nos 10 premiers “multiculteurs”. C’était bien ce que nous cherchions, mais ceux-là étaient prévus pour être tirés par un percheron, par par un pane de Haute-Volta. Il fallait enlever tout ce qui pouvait l’alléger, sans diminuer sa résistance bien sûr.
La première année, nous avons cherché des volontaires pour faire des essais à grandeur naturelle ; 2 catéchistes et le père d’un autre, grand cultivateur, furent les premiers. Il a fallu étudier un modèle de harnais adapté et le fabriquer, chercher une méthode de semis en ligne. Au départ nous tracions les lignes avec des cordes, comment certains le faisaient déjà pour le coton.
Ce genre de semis en ligne était obligatoire si nous voulions pouvoir passer entre les lignes avec l’âne et la houe, pour les sarclages. Cette exigence était un handicap avant les semis et de fait en ralentissait la vitesse. A cause de cela, beaucoup ne commençaient que par des petites surfaces semées en ligne, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte, à l’expérience, du changement de travail et de la facilité du désherbage avec la houe.
Nous faisions des démonstrations aux populations, surtout aux catéchistes, si bien que l’année suivante, une trentaine de volontaires se mirent en route, chez nous ou dans d’autres paroisses, certains pères s’intéressant aussi à cette opération. Nous avons fait revenir trente houes des Etablissements Gard de Potelières.
Les utilisateurs nous aidaient à chercher, pour les harnais, l’outil le plus adapté à leurs terres et à leurs cultures, et c’est ainsi que différentes méthodes ont pris jour pour les semis en ligne. Le cordeau a été vite abandonné, remplacé par un râteau assez large, tiré à la main et traçant trois lignes à la fois. Finalement la plus utilisée consistait à tracer les lignes avec la houe écartée au maximum. Le semis se faisait sur cette ligne.
Au cours des années et déjà à Manga, sur le même cadre de la houe, une charrue a été adaptée pour labour sur terre plus profonde, et surtout des “socs butteurs”. Cet outil est également utilisé dans les dernières cultures pour le buttage des pieds de coton, de mil, de maïs vers la fin de la saison afin de leur donner plus de stabilité et de leur conserver plus d’humidité.”
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(Crédit photos : Régis Chaix)