Toriyaba

Da Bouwote Dominique

MATRICULE 50 984 / 88 296

Da Bouwote Dominique est chef coutumier à Iolonioro, village lobi non loin de Diébougou dans le Sud-Ouest du Burkina Faso.
C’est un homme calme qui raconte volontiers sa vie et surtout ses campagnes militaires, se désolant que les jeunes ne s’y intéressent pas. Il est décédé en mai 2012, voici son interview faite en décembre 2010. Le langage parlé a été respecté, autant que possible.


Dominique devant sa concession avec un de ses petits-fils en février 2012

Je suis né le 28 juillet 1930 ; c’est rare de savoir sa date de naissance mais en fait quand je suis né, il y avait une Blanche qui était venue au village faire des vaccinations. Les infirmiers : quand ils venaient, çà durait trois mois. Ma mère a accouché pendant ce temps et la Blanche, elle l’a noté, c’est comme çà qu’on a su.

Quand j’ai eu 18 ans, ils recrutaient les militaires. Pour les recrutements on regardait les cartes familles : on regarde s’il y a quelqu’un qui a l’âge mais je n’avais pas l’âge. Les gardes sont venus et ils ont vu avec le chef de canton. Je suis passé chez le docteur qui a dit que je n’avais pas l’âge. Le commandant de cercle m’a quand même convoqué car à cette époque, j’étais un bandit et je ne voulais pas l’école. Mais je ne voulais pas y aller à l’armée : le jour où j’ai quitté le village, avec les copains de l’école, on pleurait comme pour des funérailles.

J’ai été à Diebougou avec les autres recrutés puis à Bobo Dioulasso. On m’a donné 700 francs, puis par quinzaine on donnait 75 francs et çà pendant 6 mois où se déroulait l’instruction générale. Puis j’ai été envoyé à Bordeaux pour 8 mois d’instruction militaire ; pour d’autres cela se passait à Tunis.
On s’est tous retrouvés à Marseille pour embarquer pour l’Indochine.

L’INDOCHINE

Je suis arrivé en Indochine après un mois de mer. Je suis allé à Saïgon, puis Haïphong puis Hanoï pendant un an. Je faisais partie d’un bataillon de marche dans un RTS (Régiment de Tirailleurs Sénégalais).  A Hanoï, j’étais sous les ordres du Général de Lattre. D’ailleurs en mai, son fils Bernard a été tué devant mes yeux. (NB. Bernard de Lattre a été tué le 30 mai 1951 à Nin Binh au Tonkin).
Les bataillons d’Africains étaient de nationalités mélangées. A chaque arrivée d’un bateau, les nouveaux soldats étaient mélangés dans différents bataillons. Le seul bataillon d’étrangers qui ne se mélangeaient avec personne, c’était le bataillon des Allemands, mais c’étaient de sacrés soldats.
J’ai été à Hoa Binh (terrible bataille qui s’est terminée au corps à corps le 22 février 1952).

J’ai terminé en 1953 ; j’ai eu trois mois de congés et je suis rentré au village. Par contre, quand on revenait…. les femmes ho ! Elles nous flattaient comme çà là mon vieux ……

Mon engagement était fini, alors il fallait – si on le voulait – se réengager pour 4 ans. En fait, je n’avais pas le choix : tu voulais faire quoi ? Je n’étais pas marié (sinon, je ne pouvais pas me réengager) et j’étais jeune : alors ?….
Alors, je me suis rengagé, personnellement, pas de force… Pour ces 4 ans là, on nous a donné 28 000 francs et quand çà a été fini : la même somme. On ne pouvait pas refuser !!!

On m’a renvoyé en Indochine, j’étais à Son Tay (40 km à l’Ouest de Hanoï). J’avais le grade de caporal. Je me rappelle d’un caporal africain du nom de Zao qui était passé à l’ennemi ; il s’était mis du côté des Viets.
Puis en 1954, on m’a envoyé quelques mois à Bouaké en Côte d’Ivoire.
Comme arme, je m’en souviens, j’avais un PM38, mais comme j’étais caporal, j’avais aussi une carabine à lunettes.

L’ALGERIE

En 1955, j’ai été affecté en Algérie. Je me souviens d’une embuscade dans laquelle nous sommes tombés début 55 ; la section militaire était avec des gendarmes et on s’est fait attaquer.
Comme j’étais dans un bataillon de marche, j’étais très souvent en déplacement. On m’a envoyé à Bougie (Kabylie, actuellement “Béjaïa”) puis à Fort Trinquet (Mauritanie – appelé ensuite “Bir Moghrein”) et dans d’autres endroits.

En 1960 j’étais en congé et en 1961, c’était l’indépendance donc j’ai été démobilisé.

Au bout de 9 ans d’armée, on m’avait fait signer des papiers pour ma pension. C’est pour çà que j’ai continué car je voulais avoir la pension au bout des 15 ans, mais avec l’indépendance j’ai fini à 11 ans et 11 mois. Mais le général Ponton m’a appelé pour me rassurer en disant que j’aurai quand même ma pension. Le capitaine Ponton, je l’avais connu en Indochine, il a fait le Mali, il comprend le village.

LE RETOUR

Dans le village, sur le département de Iolonioro, il y avait 47 anciens combattants. 7 seulement sont morts au combat. Actuellement, je suis le seul survivant. Je n’ai jamais était blessé, juste quelques éclats de grenade dans la jambe mais ce n’est pas grave.

Je suis revenu en 1961 et de 1961 à 2010, j’ai fait cultivateur. J’ai fondé une famille ; j’ai eu trois femmes, toutes Lobi. La première est morte depuis longtemps.
A cette époque, dans la concession du père on était trois chefs de famille : cela faisait trop. Donc on est allé voir le chef de canton pour avoir d’autres terres. Mon frère Dieudonné est parti s’installer à Bouroum Bouroum mais il est revenu au bout de 8 ans. Il est installé là derrière. Il est encore vivant, les autres sont morts.
Moi je suis resté à la maison.

Les anciens combattants ? On touche tous les mois chaque 6 du mois. On se retrouve alors à Diébougou ; on se voit, on cause. Pour ceux qu’on a vraiment connu, si on a fait le service ensemble, il peut venir me voir ma santé, et moi aussi je peux me déplacer aller le voir sa santé.

Il y avait plus de 1500 anciens combattants ; chaque famille avait 1 ou 2 anciens combattants sur Dissin, Dano, Diébougou, Zambo…. maintenant ils sont presque tous morts.
Il y en avait un à Iolonioro, mais c’était un pensionné Burkina ; car il n’avait pas ses 15 ans dans l’armée française donc il a continué comme clairon dans l’armée burkinabè.

 

LES DISTINCTIONS

  • Médaille coloniale : ” le Ministre certifie que le tirailleur 2ème classe Bouwote Da, matricule 88 296, du 1/6ème RIC (Régiment d’Infanterie Coloniale) a obtenu la médaille coloniale instituée par la loi du 26 juillet 1893, avec agrafe “Extrême Orient”, à Saïgon, le 15 février 1952.
    Signé : pour le Secrétaire d’Etat à la guerre et par délégation, le Général de Corps d’Armée Salan, commandant en chef en Indochine.

  • Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre en Afrique du Nord, décerné au Capotal Bouwote Da. Le 10 juillet 1957.
    Signé : le Secrétaire d’Etat aux forces armées “terre”, chargé des affaires algériennes.

  • Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre avec agrafe “Algérie”, décerné à monsieur le caporal Bouwote Da, le 16 octobre 1958.

  • Médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre avec agrafe “Algérie”, au caporal Bouwote Da, le 1er avril 1960.
    Signé : Chef de bataillon Legout, commandant le 1er bataillon du Régiment d’Infanterie Marine.
    Signé : le chef de bataillon Jeanblanc, commandant le troisième bataillon du 11 ème Régiment d’Infanterie Coloniale.

  • Certificat de bonne conduite. Le lieutenant-colonel Souquet, du 3ème bataillon du 23ème Régiment d’Infanterie Marine, certifie que le caporal Bouwote Da, matricule 50 984 – 88 296, né en 1930 à Loukoure (cercle Nioro Nioro) département de Haute-Volta, a tenu une bonne conduite pendant tout le temps où il est resté sous les drapeaux, et qu’il a constamment servi avec honneur et fidélité.
    Fort Trinquet le 27 octobre 1961

POUR EN SAVOIR PLUS

(Crédit photos : A. Chalamon – Bouwote Da)
NB : les phrases entre parenthèses et en italiques sont de l’auteur de l’article.

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